Produit par le network américain Showtime sous la
houlette de Mick Garris, Masters Of Horror est l'un des projets télés
les plus excitants de ces derniers mois car il convoque pour une
anthologie de 13 épisodes les plus grands réalisateurs du cinéma
d'horreur, de Tobe Hooper à John Carpenter en passant par Dario Argento
et Stuart Gordon. Sur un strict cahier des charges en terme de budget
et de conditions de tournage, cette série est la manifestation d'une
inventivité et d'une franche émulation au sein de cette réunion de
grands maîtres du genre, dont certains nous livrent ici ce qu'ils ont
produit de mieux depuis des lustres.
Réalisé par Don Coscarelli (Bubba Ho Tep), « Incident in and off a mountain road »
ne démarre cependant pas la série sous les meilleurs auspices. Il
s'agit d'un survival classique où une jeune femme, suite à un accident
de voiture en pleine campagne, est poursuivie par un tueur patibulaire,
le « Moon Face ». L'originalité de ce film est que la victime, mariée à
un adepte de l'auto défense, va mettre en oeuvre les conseils
prodigués par son mari pour échapper à son poursuivant. Le film est
construit en un montage alterné entre le jeu de chat et de la souris
entre la jeune femme et le Moon Face, et les flash backs revenant sur
la dégradation progressive de sa vie de couple antérieure due à
l'obsession de son mari pour les techniques de combat, le maniement des
armes blanches et le tir. On a cependant du mal à croire aux ruses
(façon Mike Guyver) qu'emploie la jeune femme pour échapper à son
poursuivant, celle-ci bricolant des pièges assez improbables alors
qu'elle a à ses trousses un dangereux psychopathe. Le film trouve
heureusement son second souffle lorsqu'on rentre dans le repaire du
Moon Face où celui-ci y pratique la torture façon « énucléation » et où
y est enfermé une de ses anciennes victimes encore vivante, Bruce. On
pense alors aux repères des serial killers les plus célèbres, du
Leather Face de Massacre à la Tronçonneuse à la famille de frapadingues
de House of 10,000 Corpses. Le film se conclue sur un twist où on
découvre que de victime à bourreau, la jeune femme avait déjà résolu
ses problèmes de couple de façon radicale.
Avec « Dreams in the witch house »,
Stuart Gordon adapte une nouvelle fois HP Lovecraft après notamment Re
Animator. Le film se déroule dans un hôtel miteux où Walter, un jeune
étudiant révisant ses examens loue une chambre à côté de celle d'une
mère isolée avec son fils, Danny. Très vite, il est sujet à d'étranges
hallucinations pendant son sommeil. Le film obéit à une stricte unité
de lieux puisqu'il se déroule presque exclusivement dans le décor d'une
chambre de bonne. Stuart Gordon y organise la lente descente dans la
folie de son personnage principal qui doute de plus en plus de sa santé
mentale suite à des visions tantôt érotiques, tantôt grotesques (le rat
à face d'homme!) et la découverte du passage d'un monde à un autre.
C'est une lutte contre la folie à laquelle nous assistons, le jeu
halluciné du personnage principal nous rappelle d'ailleurs celui de
Bruce Campbell dans Evil Dead. Si le ton est globalement celui de la
dérision (éclairage baroques, personnages de locataires décalés,
superstitions religieuses), le film se frotte tout de même au thème de
l'infanticide dans son dernier acte, tabou ultime que Stuart Gordon ne
cherche pas à éviter.
Avec « Dance of dead »,
c'est au retour d'un Tobe Hooper énervé auquel nous assistons. Le film
est en effet visuellement le plus radical de la série, usant d'un
montage quasi hystérique, d'une bande-son agressive et de visions
dépassant de très loin ce qu'on s'attendait à y trouver. Crémation de
femmes nues hurlant de douleur, scènes de sexe explicites nécrophiles,
fascination morbide pour un spectacle où des « zombies » exécutent une
danse spasmodique à coup de décharges électriques, Tobe Hooper adopte
un point totalement décomplexé sur une société post apocalyptique où
chaque personnage a perdu toute notion de morale. De Peggy, qui tient
un diner avec sa mère sur-protectrice, et qui devient petit à petit
fascinée par le monde de ténèbres, à Jak, un dealer qui revend des
poches de sang (le Rouge) prélevées sur les citoyens les plus
vulnérables, c'est une société en déliquescence, en perte de repère
qu'il nous est donné d'observer. Chacun agit cependant par strict
instinct de survie y compris la mère de Peggy dont on apprend le
terrible secret lors du twist final, et qui pousse sa fille encore plus
loin dans la vengeance et l'immoralité. Une conclusion qui ne laisse
aucun espoir sur la nature humaine, noire et pessimiste au possible.
Jenifer est sans
doute l'un des épisodes de l'anthologie le plus dérangeant et
inconfortable. Réalisé par Dario Argento, il met en scène la
fascination d'un policier pour la jeune femme qu'il a sauvé d'une
tentative de meurtre, Jenifer. Celle-ci est muette et défigurée, le
visage figé dans un espèce de rictus obscène et a des yeux énormes
d'animal apeuré. Une complicité sexuelle naît entre les deux
personnages qui va provoquer la chute sociale et mentale de l'homme.
Jenifer met le spectateur mal à l'aise à la faveur des nombreuses
scènes de sexe où se mêle un sentiment de fascination – Jenifer est
plastiquement superbe et dégage une forte tension sexuelle quasi
animale – et de répulsion – le visage défiguré en une grimace
grotesque. La jeune femme est caractérisée comme une bête obéissant aux
instincts primaux de reproduction et d'alimentation (elle dévore
d'abord un chat domestique puis les voisins du quartier) et d'une
jalousie meurtrière envers quiconque se dresserait entre elle et son
amant. Dans sa folie prédatrice, elle va jusqu'à attirer un jeune homme
dans son antre pour lui dévorer l'entre jambe dans un festin cannibale
à peine suggéré. On le voit, Dario Argento va très loin et ne
s'autorise quasiment aucune censure. Il entraîne le spectateur dans la
folie progessive de son personnage avec qui l'identification est
d'autant plus aisée que toute l'histoire nous est présentée de son
point de vue de plus en plus dérangé, jusqu'au final qui boucle la
boucle et augure d'une nouvelle victime des charmes vénéneux de
Jenifer.
Chocolate
commence avec l'aveu, face caméra, du meurtre que le personnage
principal vient de perpétrer. Jamie, célibataire divorcé narre à la
police les événements qui l'ont conduit à son geste. Cet épisode
commence comme la chronique intimiste d'un homme qui tente de
reconstruire sa vie après une séparation, mais dont le quotidien est
très vite contaminée par des événements peu ordinaires, qui commence
par un goût de chocolat inhabituel dans la bouche. Jamie est sujet à
des visions tout d'abord très mystérieuses et inexplicables. Puis il
devient évident que lors de ces altérations de la conscience, il se
retrouve dans la peau d'une femme dont il tombe amoureux. C'est la
partie la plus intéressante de cet épisode qui fait penser dans ses
meilleures moments à David Lynch et à la « fugue psychogénique » de
Lost Highway, dont l'humour n'est pas exclu lorsque Jamie découvre les
plaisirs du sexe au féminin. L'idée d'utiliser le chocolat pour
convoquer ces visions est excellente mais la suite n'est pas du même
niveau. Dans son dernier acte, Chocolate échoue à nous surprendre quand
Jamie cherche dans sa mémoire des indices qui pourront le conduire à
cette femme. Sa rencontre avec elle devient excessivement bavarde et on
sent bien que Mick Garris peine à conclure le récit. Le dernier tiers
part en roue libre et ne nous offre hélas rien de plus que le meurtre
annoncé dès le début. Dommage.
Homecoming
est l'épisode le plus politique de la série, il occupe une place un peu
particulière dans l'anthologie car le postulat fantastique n'est pas
utilisé pour faire peur mais sert de prétexte à une charge virulente de
l'administration Bush. Les victimes de la guerre en Irak rapatriés aux
États-Unis reviennent à la vie non pas pour se nourrir de chair humaine
mais pour participer au vote présidentiel ! Joe Dante brocarde avec un
plaisir évident l'univers cynique de la politique, de l'armée et des
médias pour livrer une satire jubilatoire du contexte politique
américain actuel.
La série « Masters of Horror » permet de se faire
côtoyer les talents les plus récents du genre, mais aussi constitue une
réelle opportunité de reprendre des nouvelles avec des réalisateurs
ayant davantage officié dans les années quatre-vingt. C'est le cas de
John Landis qui réalise ici un « Deer Woman »
inspiré d'une légende indienne : une femme-cerf séduit des hommes
qu'elle tue ensuite à coup de sabots sauvages. L'inspecteur Dwight
Farraday, spécialisé dans les attaques d'animaux est chargé d'enquêter
sur une série de crimes qui pourraient être perpétrés par cette
créature légendaire. John Landis adopte un ton distancié, voire
parodique qu'il appose au récit. Il donne l'impression de ne pas croire
une seule seconde à son scénario pour le tourner en pure dérision.
Ainsi cette séquence de spéculation où l'inspecteur de police s'imagine
la scène du meurtre dans des scénarios plus invraisemblables les uns
que les autres. La distanciation qu'il opère nuit cependant à
l'intérêt du spectateur. La conduite de l'enquête et la résolution du
récit ne semblent avoir aucune espèce d'importance. John Landis
s'intéresse davantage à ses personnages et notamment aux seconds rôles
et l'épisode permet les retrouvailles entre John Landis et Brian
Benben, le Martin Tupper de la série culte « Dream On », où de nombreux
inserts de séries B venaient illustrer les pensées du personnage
principal. Le réalisateur témoignait alors d'une véritable déférence
envers les films dont il empruntait le matériau pour l'intégrer dans sa
fiction. Dommage que dans Deer Woman, il ne se serve plus du prétexte
fantastique que pour tourner son sujet en dérision pure, son segment
n'a pour ainsi dire pas sa place dans une telle anthologie.
Si
un nom surgit spontanément à l'évocation du terme « Master of Horror »,
c'est bien celui de John Carpenter, tant il a marqué de son empreinte
le genre du cinéma d'horreur et du fantastique, de The Thing à
Christine, de Fog à Prince des Ténèbres. Autant de chefs d'oeuvre
inoubliables et intemporels qui ont marqué l'imaginaire des spectateurs
et continuent d'effrayer les nouvelles générations qui les découvrent.
Il apparaissait donc évident que le réalisateur participe à cette
anthologie. Cependant, s'il fait autorité de façon incontestable dans
le genre, l'épisode qu'il réalise pour la série, "Cigarette Burns",
ne révolutionne pas la donne, même s'il se révèle ambitieux sur le
fonds. La recherche de la bobine d'un film légendaire et maudit, « La
fin absolue du monde » (en français dans le texte), permet à John
Carpenter une réflexion sur son genre de prédilection, le cinéma
d'horreur, et de son impact sur le public, d'un point de vue
cinématographique, historique, sociologique, mythique. Il englobe ainsi
les exploitants de salle spécialisées, les collectionneurs, les
critiques, les « nerds » à la recherche du moindre morceau de pellicule
d'un film d'Argento, mais aussi les réalisateurs de snuff movies.
Cependant, l'évocation systématique de la « Fin absolue du monde », de
la légende qui l'entoure (la projection du film a provoqué de scènes de
barbarie lors d'un festival à Sitgès) finit très vite par désintéresser
ou faire sourire malgré l'effet de contamination qu'il produit sur ceux
qui tentent de s'en approcher (le fameux « cigarette burn », la brûlure
de cigarette qui indique sur une pellicule la fin de la bobine, gagne
ici la réalité pour provoquer des béances dans le réel et basculer dans
la folie). Seuls quelques effets gores assez audacieux viennent saisir
le spectateur à la gorge, in extremis. Au final, si Carpenter réalise
un segment ambitieux sur le fonds, il se révèle néanmoins décevant sur
la forme.
Si John Carpenter était le nom qui s'imposait
naturellement pour réaliser un épisode des « Masters of Horror », a
contrario, celui de William Mallone ne fait pas force d'évidence. Sa
biographie sur le site officiel de la série nous indique qu'il a
réalisé quelques programmes télévisés, rien de plus glorieux à son
palmarès. Pourtant, il faut avouer que la vision de « Fair haired child »
permet d'entrevoir un certain talent chez le bonhomme. Son épisode
témoigne d'une maîtrise certaine des codes du genre, narratifs,
dramaturgiques, plastiques, qui puise occasionnellement à la fois dans
la littérature ((le thème de la noyade) et le cinéma gothique (les
flash backs qui évoquent irrésistiblement Tim Burton et son imagerie).
William Mallone distille habilement ses effets, maintient le mystère ce
qu'il faut, dirige ses comédiens vers l'outrance et le surréalisme,
utilise brillamment son décor et la musique dans son récit. Tour cela
pour une relecture du monstre tragique, thème classique du genre qui
trouve ici une belle illustration.
Dans « Pick me up »,
Larry Cohen ne tergiverse pas et rentre très vite dans le vif de son
sujet, lointainement inspiré du film « Hitcher ». Il y est aussi
question de psychopathe routier, mais l'originalité du propos est ici
qu'il n'y en a pas qu'un seul mais deux. Le premier est un auto
stoppeur au chapeau de cow-boy et l'autre un camionneur qui conduit un
bahut transportant de la « viande pour chien », à savoir les corps de
ses victimes et brandit une étoile de shériff pour tromper la vigilance
des innocents ramassés sur le bord de la route. L'épisode installe
rapidement une tension palpable à la faveur du jeu halluciné du
camionneur, qui provoque un malaise évident. Larry Cohen utilise en
outre des décors où le climat d'insécurité est renforcé, tels ces
chambres d'un hôtel poisseux, ces bords de route noyé dans le
brouillard ou la cabine d'un camion où pendent sous forme de trophée
les affaires personnelles des précédentes victimes du tueur. Les deux
psychopathes vont se livrer à un jeu du chat et de la souris autour
d'une jeune femme qui fuit son passé et dont l'autocar est tombé en
panne au bord de la route. Ils rivalisent de ruse pour être celui qui
la tuera, comme deux prédateurs se disputant un territoire et une
proie. Chacun a sa propre logique de prédation, des motifs qui
s'opposent dans un duel sanglant au climax paroxystique où ils se
voient in fine surpassés par plus fort qu'eux. Un final qui ne laisse
aucun espoir à fréquenter ce bout de route où semblent roder tels des
charognards tous les tueurs du coin...
Impossible de concevoir
une anthologie de l'horreur sans rendre un hommage aux studios qui ont
fait les heures glorieuses du genre, qu'il s'agisse de Universal ou de
la Hammer. « Haekel's tale »
est donc l 'épisode de la série sous l'influence de ses prestigieux
aînés, et plus particulièrement de Frankenstein, cité explicitement
dans le récit. John McNaughton emprunte tous les codes du genre, orages
nocturnes, cimetierre brumeux, laboratoire aux expériences douteuses,
profanateurs de sépultures, pour les mettre au service d'une histoire
classique de résurrection. Thème qui permet en outre d'aborder les
sujets de la science, Dieu, la magie, l'amour au delà de la mort. Sauf
que même si l'épisode baigne dans un climat victorien de bon aloi, nous
ne sommes plus dans les années quarante et la dernière partie de
l'épisode, qui voit une orgie de sexe et de sang cannibale, nous
rappelle sans hésiter que les « Masters of Horror » sont contemporains
et surpassent en visions horrifiques celles davantage poétique de leurs
modèles.
Rien de tel qu'un petit scandale pour faire la promotion d'une série. « Imprint »
est le seul épisode a avoir été interdit d'antenne outre-Atlantique,
même si nos amis grands britons l'ont tout de même diffusé. Il fallait
bien un réalisateur sulfureux comme Takashi Miike pour outre-passer le
cahier des charges très strict de la série qui interdisait notamment de
représenter à l'écran toute forme de dégradation humaine. C'était sans
doute trop en demander au réalisateur d' « Audition » qui manifeste une
nouvelle fois son imagination sans borne dans les séquences de torture,
ici à base d'épingles à cheveux sadiquement plantés sous les ongles ou
dans les gencives, avec une cruauté qui n'est pas épargnée au
spectateur. Ajoutez à cela la vision traumatique d'avortements
clandestins à base de curretage ou d'accouchements de nourrissons
malformés, et vous obtiendrez les raisons de la censure de ce segment.
Hormis ces quelques joyeusetés, quoi se mettre sous la dent, me
demanderez-vous ? Un récit sous forme orale où la vérité nous est
dévoilée de façon successive dans une structure « à la Rashomon », dans
un contexte de bordel japonais où les prostituées ont de lourds secrets
à dissimuler. Un épisode certes choquant, mais dont justement la
violence des visions proposées par le réalisateur ne semble être que le
seul motif qui l'ont poussé à le mettre en scène.
Depuis la
révélation « May » il y a deux ans, on attendait de pied ferme des
nouvelles de son réalisateur, Lucky McKee et de sa magnifique
interprète principale, Angela Bettis. « Sick girl »
est justement l'occasion de ses retrouvailles qui confirment sans nul
doute possible l'immense talent du bonhomme et de sa muse. Cet épisode
est le meilleur de la série, rien de moins, et rivaliser de la sorte
avec des maîtres incontestés tels que Dario Argento ou Tobe Hooper
n'est pas un mince exploit. Tout comme dans May, Angela Bettis
interprète une sorte de freak incapable de lier de liens sociaux avec
quelqu'un d'autre que ses directs collègues de travail. Ici, elle joue
une entomologiste, Ida Teeter, qui vit sa passion des insectes jusqu'à
en faire une large collection dans son appartement, la condamnant à n'y
inventer personne. Jusqu'au jour où elle tombe amoureuse d'une jeune
femme partageant sa passion, Misty, mais dont la liaison va être
contrariée par un spécimen un peu intrusif, qui va se servir de son
amante pour y coloniser sa progéniture. Si May et Ida partagent des
caractéristiques communes, Angela Bettis interprète ces deux
personnages de façon diamétralement opposée : noire et inquiétante d'un
côté, excessive et burlesque de l'autre. Il faut voir l'actrice parler
à ses insectes ou feindre la maladresse pour se persuader de l'immense
talent de son jeu. De la même façon, Lucky McKee brode une mise en
scène opposée à celle de « May », sous influence « argentesque ». il
flirte ici avec la comédie slapstick pour nous donner une forme de
parabole sur l'amour lesbien et un plaidoyer en faveur des couples
homosexuels à élever des enfants, certes décalé, mais terriblement
jouissif. Une grande réussite qui conclut cette première saison de
belle façon.