Ne le dis à personne
Avec « Ne le dis à personne », Guillaume Canet impose,
après son premier coup d’essai remarqué, « Mon idole », sa singularité
particulière dans le paysage cinématographique français. L’acteur/
réalisateur trouve une place de choix parmi les quelques noms capables
de réaliser un vrai film de genre en France, tout en conservant une
sensibilité propre qui évite au film de n’être que strictement
spectaculaire, mais réserve un traitement prioritaire aux personnages
et aux acteurs.
En effet, « Ne le dis à personne » est avant
tout un formidable matériau à suspens et qui bénéficie d’un traitement
adéquat de la part d’un metteur en scène décomplexé qui n’hésite pas à
aller chercher son inspiration outre-Atlantique. Canet rend hommage au
cinéma noir américain de belle manière dont il respecte les codes du
genre au pied de la lettre. Il manifeste un art très affirmé du récit
en ayant systématiquement un temps d’avance sur le spectateur pour le
mener comme il le souhaite d’un point A à un point B, tout en suscitant
à chaque moment notre intérêt. Les scènes d’action, et notamment une
poursuite à pied sur le périphérique parisien n’ont pas à rougir des
meilleurs blockbusters américains, au contraire. Canet y insuffle une
vraie tension et justifie dramatiquement ce genre de séquences, pour ne
pas en faire de simples morceaux de bravoures détachés du récit ou une
pure démonstration technique. Sa fascination pour le cinéma américain
sait en heureusement s’arrêter au bon moment, même si un travelling
latéral dans les rues de Paris, sous les ponts du métro avec jeunes
jouant au basket donne presque l’impression d’avoir été tourné dans la
Grosse Pomme. En fait, on voit bien que Canet, malgré un budget
confortable et une intrigue de film noir, a voulu réaliser un film
intimiste, justifié par une histoire d’amour tragique sous-tendue dans
tout le récit. Il est en cela formidablement servi par un casting
prestigieux qui témoigne manifestement de la crédibilité et de la
confiance dont bénéficie Canet dans le milieu. Car pour réunir Cluzet,
Jean Rochefort, André Dussolier, Kristin Scott Thomas, Nathalie baye,
Marie Josée Croze dans une même distribution, il faut avoir une
confiance sans limites dans son projet et dans ses capacités de
directeur d’acteur. D’autant plus que chacun a un véritable rôle à
défendre, il ne s’agit pas simplement d’un défilé de vedettes venant
jouer sa scène. Cluzet en tête qui livre sans doute sa meilleure
prestation depuis « l’Enfer » de Chabrol, aussi bon dans la performance
athlétique que dans la tension ou le registre de l’émotion.
Dommage
dans ces circonstances que le film s ‘écroule dans son dernier tiers,
au moment de dénouer les fils de son intrigue dans une interminable
séquence explicative. Le rythme de l’explication n’est pas celui de la
tension imprimée au récit jusque-là et la dernière demi-heure introduit
un déséquilibre qui nuit au film et à son total accomplissement.
Heureusement,
« Ne le dis à personne » demeure en la circonstance une vraie réussite
qui permet à Guillaume Canet d’assurer son entière crédibilité de
metteur en scène, avec qui il faudra compter. Faites passer le mot !