Locataires
Tae-suk
arpente les rues à moto. Il laisse des prospectus sur les poignées de
porte des maisons. Quand il revient quelques jours après, il sait ainsi
lesquelles sont désertées. Il y pénètre alors et occupe les lieux
inhabités, sans jamais rien y voler. Il va même jusqu'à laver le linge
et réparer les objets cassés qui l'entourent. Un jour, il s'installe
dans une maison aisée où habite Sun-houa, une femme maltraitée par son
mari. Dès qu'il découvre sa présence, il quitte les lieux. Pourtant, ne
pouvant l'oublier, il revient sur ses pas pour l'emmener avec lui...
Kim
Ki Duk est un réalisateur très prolifique dont les films nous sont
parvenus dans un joyeux désordre. Il a tourné Locataires en 13 jours,
ce qui ne signifie pas que le film ait manqué d'attention ou qu'il soit
bâclé. Au contraire, Kim Ki Duk y manifeste un extraordinaire sens du
détail et de la précision. Le film faisant pour l'essentiel l'impasse
sur les dialogues, tout passe par la gestuel. Les actions que chaque
personnage accomplit sont un moyen de les caractériser, et de donner
des indications aux spectateurs sur leurs sentiments et leur évolution
intérieure. L'histoire d'amour naissante se manifeste ainsi par
l'accomplissement de gestes d'abord quotidiens, faire à manger, laver
le linge, écouter de la musique, qui nous font presque penser qu'il
s'agit d'un couple ordinaire. Puis Sun-houa, en s'interposant dans le
jeu de golf de Tae-suk, semble lui dire «regarde moi, fait attention à
moi». Elle impose son corps, demande sa reconnaissance qu'elle n'a
connu avec son mari qu'au travers de la violence physique. Les
accessoires de golf, intimement liés au personnage du mari trompé, sont
d'ailleurs l'instrument d'un incident provoqué par Tae-suk et qui
conduira au rapprochement du couple, mais plus tard aussi celui de la
torture du jeune homme : dans tous les cas, le club et les balles de
golf matérialisent à la fois une aisance sociale à laquelle la femme
battue veut échapper et le poids de l'argent dans la corruption et
l'influence sociale. La première image du film est à ce titre
signifiante : le filet qui permet au mari de s'entraîner dans son
jardin semble emprisonner la statue d'une femme sans membres.
Le couple va
alors se prendre en charge réciproquement, panser les plaies de
l'autre, le soigner dans un acte d'amour où l'échange verbal est
absent. Cette absence de dialogue oral n'est pas qu'un simple procédé,
une astuce de mise en scène gratuite, elle permet au contraire d'aller
directement à l'essentiel en se passant de mots. Le rejet de la société
matérialiste se traduit ainsi par un retour à la tradition lorsque le
couple découvre un vieil homme décédé dans son appartement auquel ils
offrent un enterrement digne et respectueux. Il se traduit aussi par
des gestes simples comme laver le linge à la main. De la même façon,
quand Tae-suk répare systématiquement les objets du quotidien en panne,
le cinéaste semble nous dire que c'est tout notre mode contemporain de
vie qui cloche.
Le dispositif que met en place Kim Ki Duk exprime donc
paradoxalement beaucoup plus de choses dans l'expression des corps et
dans les regards que dans le dialogue. La parole y est presque
exclusivement vécue comme une agression de l'extérieur, prononcée par
ceux qui essaient de faire éclater la bulle mise en place par le couple
: la police, le mari trompé. Ces derniers cherchent des réponses à ce
silence, à ce comportement marginal que manifestent Ta-Suk et Sun-houa.
Plutôt que de les ramener vers une norme socialement acceptable, ils
vont précipiter le couple d'amant vers la recherche d'invisibilité
totale : Tae-suk, emprisonné, va s'employer à disparaître au sens
propre du terme pour se faire une place aux côtés de Sun-houa,
littéralement dans l'ombre de son mari.
La
fin du film touche alors quasiment au fantastique, à l'irréel. Une
seule phrase est prononcée par Sun-houa, mais c'est la seule qui
s'impose comme une évidence, remplie de tout son sens, précieuse et
essentielle.
Le Dvd
Le
double dvd édité par wilde side fait une nouvelle fois honneur à cet
éditeur, car il propose un journal de tournage absent de toutes les
autres versions parues ailleurs. En 86 minutes, soit quasimment la
durée du métrage, nous sommes témoins des méthodes de tournage du
réalisateur, sa minutie, son sens du timing et de la direction
d'acteurs. Une interview du réalisateur et un court making of plus
conventionnels complètent le rayon suppléments. La qualité d'image
s'avère assez satisfaisante même si les couleurs sont un peu ternes,
les contrastes et la compression sont bien gérés. Rien à signaler de
particulier du côté du son, Locataires n'étant pas un film qui délivre
une expérience multicanale inoubliable.