A bittersweet life
Pour quiconque s'intéresse un minimum au cinéma coréen,
A bitter Sweet Life pourrait aisément passer pour un film de Park
Chan-wook : précision chirurgicale du plan et de la composition,
utilisation à l'identique de morceaux classiques en contre poids d'une
violence exacerbée, personnages taciturnes et renfermés. Est-ce à dire
que Kim Jee-Woon, réalisateur de ce film, n'est qu'un vulgaire suiveur
ou pire, un pâle imitateur ? Que non ! Et loin de là ! Tout au
contraire, il s'affirme comme l'un des cinéastes coréens les plus
talentueux avec lequel il faudra sans doute compter à l'avenir.
Car
s'il reprend effectivement des motifs déjà utilisés par ailleurs, Kim
Jee-Woon ne le fait pas gratuitement mais les mets au service d'un
travail global de mise en scène cohérent et imparable.
Ainsi,
l'esthétisation à outrance des décors et de l'attitude du personnage
principal, Sun Woo, renvoient au caractère de celui-ci. D'une rigueur
quasi monolithique, il gère les affaires de son hôtel où tout doit être
en ordre, comme sa vie personnelle qui interdit toute forme de
sentiment, pour que rien ne vienne dérégler une existence où tout est
organisé comme du papier à musique. L'irruption d'une femme dont il va
tomber amoureux va bouleverser son univers et rompre le lien de
confiance avec son employeur. D'une posture rigide et rigoureuse, Sun
Woo va basculer vers un état de proie qui lutte pour sa survie. La
seconde partie du film balaie ce bel ordonnancement initial. Sun Woo,
littéralement enterré vif, renaît à la vie (dans une séquence qui
rappelle celle de Kill Bill vol.2) et se venge de ses patrons et
associés qui l'ont trahi. D'un point de vue décoratif, le film qui
jusque là se déroulait dans les salons de l'hôtel de luxe ou dans
l'appartement stérile de Sun Woo bascule dans une esthétique du
glauque (référence à Oldboy) et prend des allures de jeu de massacre à
la faveur d'un gunfight final opératique à la façon de John Woo.
Kim
Jee-Woon se montre excessivement à l'aise dans la violence
chorégraphique mais aussi dans l'observation des sentiments, tout en
pudeur et en retenue. Si la crédibilité du film repose sur l'histoire
d'amour entre Sun Woo et la jeune fille qu'il devait tuer, certains
trouveront sans doute que celle-ci ne se montre pas suffisamment
explicite. Rien en permet en effet de savoir si Sun Woo est amoureux
d'elle où s'il se rebelle pour obéir à un strict code d'honneur auquel
il ne veut pas déroger. Le film trouve heureusement toute sa force dans
la révélation d'un contre champs en toute fin, qui permet au spectateur
de comprendre l'instant où Sun Woo a laissé l'amour le submerger. Cette
dernière séquence, où la musique joue un rôle de révélateur, donne tout
son sens à ce qui précède et ne permet plus le doute. A bittersweet
life devient alors manifestement une belle histoire d'amour tragique,
sur laquelle plane l'ombre de grands maîtres tels Park Chan Wook,
Tarantino, David Fincher ou John Woo, figures tutellaires d'un
brillant cinéaste en devenir.