A history of violence
Les particularités linguistiques autorisent plusieurs
traductions autour du titre "A history of violence" : spontanément, on
pourrait le traduire par "une histoire de la violence", entendue comme
une anthologie autour du thème de la violence. Il pourrait aussi
s'entendre comme "Une histoire de violence", considérant qu'il
s'agirait ici d'un récit particulier articulé autour de la violence. En
anglais cependant, "A history of violence" signifie : "un passé de
violence", ce qui nous renseigne en l'occurrence davantage sur le thème
du film de Cronenberg, c’est-à-dire l'héritage de la violence, sa
légitimité, et comment vivre avec celle-ci quand on la porte comme une
croix (l'affiche française du film est à ce titre signifiante) et qu'on
veut solder ses comptes avec elle.
Difficile d'entrer dans le détail de l'intrigue sans
révéler une grande partie du film. Disons simplement que sur un projet
de commande adapté d'une "graphic novel", David Cronenberg poursuit sa
réflexion sur les instincts de la nature humaine et dynamite les genres
auxquels appartient le film. "A history of violence" est en effet un
film protéiforme, qui évoque tour à tour la chronique sociale, le
western, le thriller, le teenage movie, autant de genres attachés à une
certaine mythologie de l'Amérique (l'american way of life, la success
story), que Cronenberg va s'employer à pervertir insidieusement de
l'intérieur en posant la question de savoir si tout cela n'est
finalement pas bâti sur un mensonge. La première partie du film
entretient ce mystère grâce à l'interprétation exceptionnelle
d'ambivalence de Vigo Mortensen. Le film joue sur les clichés inhérents
aux genres : famille soudée, sentiment de communutarisme, valorisation
du sport, pour mieux les corrompre avec l'irruption quasi obscène de la
violence. La seconde partie donne des réponses inconfortables, qui font
voler en éclats toute notion de manichéisme, de bien et de mal.
Cinéaste de la chair, Cronenberg nous donne deux scènes de sexe en
forme de balises, la première illustrant l'innocence et la pureté, la
seconde signifiant le retour à l'instinct animal, la force dans les
rapports humains. Ces deux séquences illustrent parfaitement la brèche
qui s'est opérée dans le récit.
Le
film est également traversé d'éclairs de violence inouïe, dont la
durée, chronomètre au poing ne doit pas excéder 5 minutes sur la durée
du métrage, mais dont l'impact immédiat est mille fois supérieur à 130
minutes de flingueries chez Michael bay. Pire que ces brefs instants de
brutalité, est la menace qui la précède et le malaise qui lui succède.
Ed Harris incarne cette violence avec une raideur monolithique
signifiée par la berline noire et inquiétante, le costume qui renvoie à
la Bd où s'exprime davantage une forme d'iconisation des personnages,
les lunettes de soleil et la cicatrice. Il se dégage de lui un danger
permanent qui risque de contaminer le petit village où les habitants
"ne veulent pas d'ennuis".
Le film, autant cérébral que vicéral, obéit donc à une stricte règle de cohérence entre sa forme sans concession et embarrassante car basée sur le mensonge et l'hypocrisie, et sa thématique. Dans le contexte actuel du cinéma américain, c'est un acte courageux de la part d'un cinéaste comme Cronenberg d'investir le débat de la légitime défense, que l'on peut élargir au contexte politique international. Il ne nous dit finalement rien de moins que notre société n'est jamais passée de la barbarie à la civilisation. Ce constat est effrayant.