Election
Le monde des Triades a décidément la côte actuellement.
Après la trilogie Infernal Affairs, voici que Johnnie To s'y interesse
de nouveau à son tour. Il faut dire que cet univers de société secrète
à vocation criminelle, qui s'apparente en de nombreux points à la mafia
américaine, a quelque chose de fascinant avec ses lois spécifiques, ses
raisons historiques et ses liens avec la société, ses traditions, ses
figures hautes en couleur et folkloriques, elles ont inspiré de
nombreux cinéastes en tous temps et en tous lieux en raison de leur
aspect cinégénique et fantasmatique .
Dans Election, Johnnie To
isole un événement spécifique de la vie des triades, l'élection du
nouveau chef local, pour en révéler les enjeux financiers, les luttes
de pouvoir, la lutte entre la tradition et les velléités séparatistes.
Les
deux prétendants au pouvoir sont Lok, garant des traditions qui
président à ce microcosme, calme, méthodique, il est opposé à Big D,
qui, battu par le vote, va tout faire pour obtenir le siège tant
convoité à force de violence et de corruption. Ce dernier est
interprété de façon quasi hystérique par un Tony Leung Ka Fai qui
cabotine au possible dans ce rôle survolté. Il faut dire que le récit
faisant intervenir de nombreux personnages, leur caractérisation,
réduite au minimum, autorise tous les excès dans le jeu des acteurs et
dans celui-ci en particulier, obsédé par le pouvoir et l'argent. Le
film prend à un moment donné la direction d'une forme de chasse au
trésor : celui qui possédera un bâton ancestral que se relaient les
nouveaux chefs, deviendra le patron. C'est l'occasion de sortir de Hong
Kong où se déroule le film, de mettre en suspens le dialogue et le
verbe pour des séquences d'action, de poursuite et de duels au sabre
qui ne font cependant pas oublier que Election n'est pas un film
d'action stricto sensu. Aucun coup de feu n'est échangé, Johnnie To
abandonne les fusillades opératiques de Full time Killer ou The
Mission, les plans séquences virtuoses de Breaking news. Si on tue dans
Election, c'est à l'arme blanche, en enfermant la victime dans une
caisse pour la faire dévaler une falaise, en utilisant un rocher pour
écraser un crâne, en poussant sa victime sous les roues d'une voiture.
Si on sent bien que Johnnie To a mis un point d'honneur à mettre de
côté les gunfights, cela ne signifie pas pour autant que sa mise n'est
pas moins travaillée et réfléchie. Il utilise toujours des mouvements
d'appareil discrets mais plutôt pour isoler un moment de communion
collective (la cérémonie du thé ou celle d'intronisation du nouveau
boss), utilise de brillante façon la cinégénie particulière de la ville
de Hong Kong (les berlines noires qui roulent dans la nuit avec les
reflets des néons sur la carrosserie, une embarcation qui file dans la
baie...). Le montage est nerveux et maintient l'intérêt malgré un
nombre de protagonistes trop important qui interdit hélas d'éprouver
une quelconque empathie pour tel ou tel personnage : c'est là le vrai
défaut du film. Election s'en tient strictement à son programme sans
établir de réelle connexion avec le spectateur, au risque d'en laisser
un bon nombre sur le carreau.